Le sud-ouest marocain est affecté par le manque de pluie. Alors pour fournir en eau certains villageois, des filets spéciaux ont été posés dans la montagne qui récupèrent l’eau des brumes.
A mesure que l’on s’approche de Sidi Ifni par la route qui serpente entre l’Atlantique d’un côté et les reliefs de l’Anti-Atlas de l’autre, des panneaux singuliers émergent : «Attention brouillard fréquent». Un jour sur trois environ, dans la région, le ciel se couvre en effet d’un voile bas et gris, tirant parfois vers le blanc.
Un phénomène météorologique que l’on retrouve sur une partie de la côte atlantique marocaine, essentiellement entre Essaouira et Sidi Ifni, en raison de l’influence conjuguée de l’anticyclone des Açores et du courant des Canaries qui provoquent une forte humidité atmosphérique, laquelle se condense au contact des chaînes montagneuses à l’air plus frais que celui de la côte. Là, au sommet du mont Boutmezguida, 1 225 mètres d’altitude, des dizaines de mystérieux panneaux rectangulaires tendus de filets métalliques aux mailles en forme de goutte inversée (extrémité pointue orientée vers le bas) semblent vouloir attraper le brouillard.
La région n’a pas connu de vraie pluie depuis plus de quatre ans
Quatre ans, la région n’a pas connu de vraie pluie. Adossées à la chaîne de l’Anti-Atlas, balayées par le chergui, le vent sec venant du Sahara, les collines du territoire des berbères Aït Baâmrane, qui s’étend dans le sud-ouest du Maroc aux environs du port de pêche de Sidi Ifni, sont rongées par le manque d’eau Et c’est exactement ce qu’ils font. Ce dispositif vient compenser le fait que depuis plus de. Privés de fleurs et de fruits, des figuiers de barbarie se contorsionnent, desséchés. La pénurie d’eau affecte tout le pays mais elle est encore plus criante dans les régions méridionales.
Récupérer l’eau atmosphérique est essentiel
Dans certaines régions du monde, obtenir de l’eau pour la consommation ou l’irrigation est plus qu’un défi : il n’y tombe pas de pluie ou trop peu, et les nappes phréatiques sont à sec. Et on n’y trouve pas de source ou relief permettant de créer des retenues, et pas non plus de sols argileux autorisant la fabrication de réservoirs. Dans ces cas extrêmes, récupérer l’eau atmosphérique est essentiel.
Le réservoir d'eau familial : un trou creusé dans le sol
Aux abords du petit village de Biougta, un jeune homme chevauche un âne harnaché de bidons vides sur les flancs. Ce dernier trotte dans la poussière ocre, en direction d’un puits, d’un réservoir, d’une citerne, de n’importe quel point où la terre n’a pas avalé la précieuse ressource. Saïd Baggaj, 47 ans, suit du regard sa trajectoire et se désole. «La vie sans eau… ce n’est pas possible», soupire-t-il en montrant son jardin tout sec. Un de ses voisins, Abdullah Ayech, 42 ans, reçoit dans sa maison en terre crue. À quelques mètres de la table de la petite salle à manger ouverte sur l’extérieur – où l’hôte sert le thé – se trouve le réservoir d’eau de la famille : un trou creusé dans le sol, couvert par une dalle de béton. On remonte le seau grâce à un système de poulies.
Trois générations vivent là : les grands-parents d’Abdullah, sa femme et son fils. «Nous ne prenons qu’une douche par semaine, ce qui représente au maximum 150 litres utilisés pour nous cinq», calcule le chef de famille. En comparaison, un Français consomme en moyenne la même quantité d’eau… par jour, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.
Les filets rapportent en moyenne 37 000 litres d’eau chaque jour
Entouré de volutes blanchâtres humidifiant légèrement ses vêtements, Mounir Abbar, le responsable du projet, montre les filets métalliques. «Le brouillard, poussé par le vent, s’y engouffre et les gouttelettes qu’il contient se condensent sur les mailles puis elles descendent jusqu’à une gouttière, dit-il. Il estime que le sommet est embrumé entre cent vingt et cent quarante jours par an mais qu’«avec le dérèglement climatique, le flux est moins régulier, il peut y avoir un grand pic de brouillard puis plus rien pendant un moment».
Lorsque la brume est au rendez-vous, les filets «moissonnent » tout de même, en moyenne, 37 000 litres d’eau chaque jour. Le liquide est stocké dans des réservoirs où il est filtré, puis distribué grâce à un système de canalisations de 42 kilomètres. Tout au long du circuit, l’eau de brouillard, qui, équivalant à de l’eau distillée, ne contient pas de sels minéraux, est mélangée à de l’eau extraite du sol par des pompes solaires pour qu’elle puisse être consommée.
À l’approche d’Id Achour, l’un des villages connectés au réseau, quelques mètres carrés verdoyants se détachent des multiples nuances ocre de la terre, du sable, de la poussière et des murs des casbahs. Il s’agit d’un petit verger composé de figuiers et d’oliviers, choyés par Moustapha Ouafegha, 38 ans. «Auparavant, la corvée d’eau prenait quatre ou cinq heures pour aller jusqu’au puits avec un âne et rapporter environ 60 litres au foyer», se rappelle-t-il. Maintenant, elle coule du robinet… Mais elle est payante. «C’est pour souligner qu’il faut protéger la ressource», explique Jamila Bargach. Les habitants paient sept dirhams par mètre cube d’eau (environ 65 centimes d’euro), en complément d’une redevance mensuelle de 10 dirhams (moins d’un euro). Un tarif à comparer au revenu mensuel moyen individuel en milieu rural au Maroc qui est de 1 300 dirhams (120 euros), d’après des chiffres officiels de 2019.
À vol d’oiseau, le sommet de Tabttist n’est qu’à quelques centaines de mètres de celui de Boutmezguida. Et c’est lui qui attire désormais l’attention des moissonneurs de brume. «Nous prévoyons d’y installer 5 000 m² de filets, explique Mounir Abbar. Le site est très prometteur car d’après les premières observations, à conditions égales, les filets de Tabttist récoltent 18 % d’eau en plus que ceux de Boutmezguida». Le dispositif gagne petit à petit du terrain… sans pour autant risquer de faire disparaître le fameux brouillard né de l’Atlantique, qui va continuer à nimber les paysages de montagne marocains. Pour le plus grand bonheur des petits mammifères et insectes qui, eux aussi, comptent sur lui pour s’abreuver.