Loin de la jet-set de Marrakech, ces retraités souvent de condition modeste, français pour la plupart, descendent chaque année en camping-car passer l'hiver dans le sud du Maroc. Ils y goûtent la douceur du climat et la vie peu chère. Avant de rentrer en Europe aux beaux jours.
Comme les hirondelles, ils reviennent avec le printemps. Après avoir passé l'hiver dans les "pays chauds" - en l'occurrence le Maroc -, des milliers de camping-caristes reprennent le ferry pour retrouver leurs quartiers d'été chez eux, en Europe. Selon les autorités locales, sur les 30 000 à 40 000 camping-cars qui entrent chaque année dans le royaume - en général à l'automne -, une bonne partie le quittent aux beaux jours. Le plus souvent, ces véhicules viennent de France, parfois d'autres pays européens, notamment d'Allemagne et d'Italie. Et la quasi-totalité de ces caravaniers sont des retraités qui veulent à la fois vivre au soleil et faire des économies. Avec une prédilection pour la région d'Agadir.
Yves et Christine passent ainsi la moitié de l'année au camping municipal de Tiznit, une paisible bourgade du Souss, à une centaine de kilomètres au sud d'Agadir. Situé en pleine ville, à deux pas du marché central, le terrain, qui peut accueillir jusqu'à 250 caravanes, a ses habitués. Christine - depuis cinq ans en fauteuil roulant - et Yves s'installent toujours au même endroit, où ils retrouvent leur bande de "rigolards". Cette année, André et son épouse, leurs voisins les plus proches, ne resteront que quelques jours : ils ont décidé de descendre jusqu'à Dakhla, la station du Grand Sud, paradis des pêcheurs et des surfeurs. Mais Yvette, pimpante octogénaire, et son mari, eux, seront bien là jusqu'au printemps. Christine, Yves, André, Yvette et les autres ont entre 60 et 80 ans, et cela fait bien longtemps qu'ils pratiquent le camping.
Plus jeunes, ils passaient leurs vacances sous la tente, avant d'adopter, l'âge venant, le camping-car. La retraite leur a donné une nouvelle liberté, alors ils sont allés de plus en plus loin. Et même jusqu'au Maroc, dont ils ont fini par faire leur "deuxième pays". Pas seulement à cause de la douceur du climat: "Ici au moins, souligne Christine, les gens disent bonjour, ils sont serviables." Les courses, le Scrabble, les mots fléchés et la pétanque occupent les journées. Sans parler, bien sûr, des apéros et des bavardages avec les voisins.
Ces retraités aux revenus modestes apprécient surtout une vie bien moins chère que dans l'Hexagone. Les fruits et les légumes ne coûtent que quelques centimes d'euro, une bouteille de butane à peine 4 euros. "Chez nous, remarque Yves, dès que quelque chose ne marche plus, on le jette. Eux démontent et réparent." A leur arrivée au Maroc, il a dû changer la courroie de distribution de son moteur. Avec la vidange, le mécanicien ne lui a pris que 500 euros. La petite bande a ses fournisseurs : Mohamed, dit "Momo", qui refait les coussins des banquettes des camping-cars et les auvents en toile bayadère, Mustapha l'électricien, Ahmed le bijoutier... Sans oublier le restaurant Mauritania qui, le dimanche midi, sert du couscous au son de l'accordéon à sa clientèle française.
"L'apport des camping-caristes à l'économie locale n'est pas négligeable, affirme Tariq Kabbage, maire et député d'Agadir. Ils achètent sur place, bien plus que ne le font ceux qui ont réservé leur séjour "tout compris" auprès d'un voyagiste. Ils font travailler les artisans, mais aussi les opticiens ou les dentistes." A Tiznit, l'"arracheur de dents" préféré des camping-caristes porte le hidjab. A 35 ans, Fatima el-Harrab exerce depuis une dizaine d'années. Son cabinet est bien équipé, avec une hygiène impeccable. Et Fatima applique les mêmes tarifs à tous ses clients, qu'ils soient marocains ou européens. Du coup, le bouche-à-oreille - et les forums sur Internet - aidant, sa clientèle s'est singulièrement élargie. A 66 ans, Manuel n'avait jamais jusqu'ici mis les pieds chez un dentiste. Il a fini par s'y résoudre. Une dizaine de dents pourries, deux prothèses à implanter, l'une en bas et l'autre en haut. Pour le tout, il déboursera moins de 400 euros. Lui, cela fait plus de dix ans qu'il bourlingue en camping-car entre le Maroc, le Portugal et la France, où vivent son fils et sa petite-fille. "L'esprit nomade", comme il dit. Mais, pendant six mois, Manuel ne bouge pas de Tiznit où il s'est fait des copains qu'il retrouve pour prendre un café ou, le soir, devant une bière. "Des Berbères", tient-il à préciser...
Beaucoup de camping-caristes optent pour le bord de mer. Le camping d'Imourane, à une quinzaine de kilomètres au nord d'Agadir, est l'un des plus récents. Au bord de l'océan, il donne directement sur une plage que les caravaniers partagent avec les surfeurs. "Nos hôtes ont généralement plus de 70 ans, précise son directeur, Jamal Immel. Ce ne sont pas des gens très riches. Ils vivent comme en France, le beau temps en plus." La plupart d'entre eux ne s'éloignent guère d'Imourane. Ils ont une supérette au camping, un restaurant sur la plage, le marché chaque mercredi, au village ; des pêcheurs viennent régulièrement vendre leur poisson. Quelques artisans se sont établis sur place, tandis que d'autres passent proposer leurs services. On y trouve même un salon de coiffure, ouvert trois jours par semaine. Ali, le coiffeur, prend 100 dirhams (9 euros) pour une coupe, shampooing et brushing compris.
Ce matin-là, Stella, 74 ans, est sa première cliente. Elle est venue pour refaire sa couleur. Pendant quinze ans, elle et son mari ont voyagé en camping-car et ont parcouru le bassin méditerranéen avant d'opter pour le Maroc "pour le climat et pour les gens". Ils ont été les premiers à s'établir dans le camping d'Imourane, voilà quatre ans. Récemment, suivant en cela la tendance du marché européen, la société propriétaire du terrain a réservé quelques emplacements à des "chalets". Il s'agit de bungalows fixes, qui peuvent être achetés ou loués. Stella et son mari, âgé de 76 ans, ont décidé de franchir le pas. "Nous arrivons en avion, nous sommes installés plus confortablement", souligne Stella.
L'attrait du Sud
Il y aurait au total, selon les estimations de l'ambassade, entre 70 000 et 80 000 Français résidents au Maroc, dont un peu plus de 40 % de binationaux. Par ailleurs, près de 2 millions de touristes français visitent chaque année le royaume. Les camping-caristes ont un statut de touriste.
Mais, pour pouvoir continuer à circuler, ils ont acheté une voiture et passé le permis marocain. Ils ont aussi acquis le statut, fiscalement très intéressant, de résident au Maroc, ce qui n'était pas possible tant qu'ils venaient en camping-car. Le cas n'est pas isolé. "Beaucoup de camping-caristes, lorsqu'ils prennent de l'âge, décident de louer ou d'acheter", souligne Jean-Claude Rozier, président de la section d'Agadir de l'Union des Français de l'étranger. Maurice et Bernadette, 74 et 70 ans, commencent, eux aussi, à y songer. Eux n'étaient pas des habitués du camping, mais, il y a six ans, ils ont perdu leur fils unique. Après ce traumatisme, ils ont ressenti le besoin de s'évader. Ils ont acheté un camping-car et pris la direction du Maroc où ils n'étaient venus qu'une fois, en voyage organisé. Depuis, ils séjournent six mois par an au camping d'Agadir. "Lorsque nous ne pourrons plus faire la route, dit Bernadette, nous louerons sans doute un petit appartement en ville." Deux nouvelles hirondelles qui ne se voient décidément plus passer l'hiver en France.
(https://www.lexpress.fr/actualite/societe/seniors-les-hirondelles-d-agadir_1246291.html)
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